2 oct. 2008

Le temps sauvage

Il y a le temps humain. Il y a le temps sauvage. Quand j'étais enfant, dans les forêts du Nord Américain, je croyais qu'il y avait non pas quatre saisons, mais des dizaines: le temps des nuits d'orage, le temps des éclairs de chaleur, le temps des feux de joie dans les bois, le temps du sang sur la neige, le temps des arbres pris par le gel, le temps des arbres courbés sous le vent, des arbres pleurant de pluie, des arbres frissonnant sous le vent, la saison de la neige étincelante, la saison de la neige fumante, celle de la neige qui crisse, et même la saison de la neige sale, de la neige aux pierres affleurantes, car elle annonçait le printemps.

Ces saisons représentaient en quelque sorte des visiteuses de marque, des visiteuses sacrées, qui envoyaient des signes annonciateurs: pommes de pins ouvertes ou fermées, odeur des feuilles pourrissantes ou de la pluie, bois des portes qui travaille, vitres couvertes de fils de givre, décorées de blancs pétales humides, constellées de l'or du pollen, piquées de sève collante. Et notre peau, elle-même, avait ses propres cycles: tannée, moite, halée, douce. Les enfants sont la nature sauvage. Sans qu'on ait besoin de leur dire, ils se préparent à ces moments, vivent avec, et en gardent des recuerdos, des souvenirs: une feuille pourpre séchée dans un livre, un coquillage, une pierre, un bâton, un ruban, vestige de l'enterrement d'un oiseau. Ils se remémorent la paix du coeur, le sang fouetté et toutes sortes d'images.

Il y eut donc le temps où, une année après l'autre, nous vivions selon ces cycles et ces saisons et où ils vivaient en nous. Ils faisaient partie de notre peau d'âme, ce pelage qui nous enveloppait et enveloppait aussi le monde sauvage...


Clarissa Pinkola Estés Femmes qui courent avec les Loups Editions Grasset

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