Le Grand Livre des Mortes et des Morts

"Elle connaît toutes les plantes du plateau, même les plus rares, et lorsque je ne les trouve pas dans mes livres, je m'en vais lui demander, et nous passons ainsi quelques heures à parler des fleurs et des graminées, des sentiers et des sous-bois , des pâtures mangées par les lèvres des moutons, des chèvres et des vaches et par le vent qui ne s'arrête jamais, tous ces lieux où elle ne peut plus aller depuis bien longtemps déjà. […]

Elle possède les plus beaux herbiers que je connaisse. Toute une armoire pleine à craquer de grands livres aux couvertures de carton bistre dans lesquels elle a couché pendant des années les fleurs et les herbes de la montagne. En dessous de chaque spécimen, elle a noté avec son écriture appliqué le lieu de la cueillette, le jour, l'aspect du ciel, le parfum de la plante, ses couleurs exactes, son orientation, et puis, parfois, un petit commentaire qui n'a rien à voir.

“Alors, Brodeck, tu viens encore pour le Grand Livre des Mortes et des Morts ?” -plus exactement, elle dit dans le dialecte De Buch vo Stiller un Stillie, ce qui donne un effet moins tragique et plus doux."

Le rapport de Brodeck - Philippe Claudel