27 oct. 2008

L'homme vert

En Guyenne, autrefois, était un homme vert. Il apparaissait toujours à l'improviste, perché dans un arbre ou sur une crête de vieille muraille, interpellait les gens qui passaient sur le chemin, les saluait, leur faisait un brin de conversation familière et disparaissait dès qu'on faisait mine de l'approcher. Il semblait connaître tout le monde, comme ces vieillards indulgents qui ont vu naître et grandir chaque homme, femme ou enfant de leur village. Mais nul ne savait rien de lui, sauf qu'il était le gardien des oiseaux.
Certains en vérité, ne croisèrent jamais sa route . Ceux-là voulurent croire que l'homme vert n'était qu'une de ces créatures de vent et de paroles qu'inventent les rêveurs.D'autres le rencontrèrent et gardèrent de lui, jusqu'au fond de leur âge, un souvenir discret et fragile, mais impérissable. Ainsi un vieil homme nommé Cazaux parla deux fois avec ce maître des bêtes volantes, au temps de son enfance.
La première fois il avait dix ans. Il était avec son père sur le chemin de la ville où ils allaient au marché. Le grand soleil brillait doux. Ils marchaient depuis une heure quand, en passant sous les murailles d'un vieux château fort, le père tendit le doigt vers la cime des ruines et dit au fils:
_Regarde.
L'enfant s'arrêta, leva le nez et vit là-haut, assis sur le rempart, les jambes dans le vide, l'homme vert. Des oiseaux voletaient autour de lui, il semblait leur lancer des graines invisibles, à grands gestes de semeur.
_Bonjour, homme vert, fit le père.
_Bonjour, homme vert, dit le fils.
_Bonjour, père Cazaux, bonjour, petit Cazaux, répondit l'homme vert. Belle journée.
_Belle journée, dit le père.
Et ils passèrent leur chemin sans plus de formalités. Vingt pas plus loin, l'enfant se retourna. L'homme vert avait disparu. Mais cette rencontreavait tant émut le petit Cazaux qu'il n'eut, de la journée, plus qu'une idée en tête: revoir ce personnage mystérieux et rassurant dont il avait souvent entendu parler, aux veillées. La nuit venue, il ne put dormir, mais rêva de lui. Le lendemain matin, il courut au vieux château espéra tout le jour la venue du magnifique et paisible maître des oiseaux, mais il ne la vit pas. Un mois durant, il revint guetter le long des murailles, tendant l'oreille au moindre bruit parmi les cailloux. Tous les soirs il s'en revint chez lui tête basse.
Enfin, un après-midi d'été, il grimpa jusqu'en haut du roc. Parvenu parmi les vieux pans de murs déchirés, épuisé de chaleur, il s'étendit à l'ombre et s'endormit. Il fut réveillé par un grondement de tonnerre. Il regarda le ciel: il était noir comme un fond de cheminée. Dans la vallée, les cloches du village sonnaient pour éloigner l'orage. Il se dressa, environné d'éclairs, dans l'odeur chaude et lourde de la terre. Brusquement, les nuages crevèrent dans un terrible craquement qui résonna jusqu'à l'horizon et le déluge s'abattit. Le petit Cazaux se serra contre le rempart, écoutant la pluie et le fracas du ciel. Il n'avait pas peur, il se sentait tout exalté de se trouver au coeur d'un de ces orages tonitruants qui ne déferlent, dans ce pays, qu'au plus chaud de l' été. Le spectacle était superbe.
Aussi soudainement qu'elle était venue, la pluie cessa. L'enfant sortit de son abri. Alors il entendit un bruit au-dessus de sa tête. Il leva le front et aperçut l'homme vert, assis sur la muraille.
_Bonsoir, petit Cazaux, lui dit celui qu'il avait tant espéré.
L'enfant répondit, à voix menue:
_Bonsoir, homme vert.
_Petit Cazaux , il y a longtemps que tu me cherches. Quel obstiné tu es ! Dis-moi, que me veux-tu?
L'enfant resta un moment le nez levé, le coeur battant, bouleversé de bonheur, l'esprit débordant de paroles qu'il ne savait dire.. ce qu'il voulait? Rien en vérité. Mais il fallait bien qu'il réponde quelque chose. Il dit:
_Homme vert, vous qui êtes le maître des oiseaux, j'aimerais que vous me donniez un merle. Un beau merle qui siffle bien.
L'homme vert le regarda en souriant, hocha la tête.
_Je ne donne pas mes bêtes volantes, dit-il. Je ne les vends pas non plus. Si tu veux un merle, un beau merle qui siffle bien, tu n'as qu'à l' attrapper. Maintenant, petit, rentre vite chez toi. Tes parents doivent s'inquiéter.
Le petit Cazaux frotta ses yeux où deux gouttes de pluie avaient ruisselé. Quand il releva la tête, il n'y avait plus personne sur le rempart. Il courut chez lui conter son aventure. On le crut, car, de ce jour-là, les oiseaux vinrent souvent manger dans sa main, sans crainte qu'il ne les emprisonne. Quand à l'homme vert, personne, depuis, ne l'a jamais revu. Petit Cazaux devenu vieux pense que la faute en revient aux hommes désormais trop distraits et myopes pour le reconnaître quand il vient à portée de regard.
_Tant pis pour eux, dit-il.

Cette légende est extraite de L'Arbre aux Trésors
de Henri Gougaud éditions du Seuil

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