31 janv. 2009

Un grillon à New York


Un new-yorkais reçoit un jour à Manhattan un ami Sioux. Et comme à grand-peine ils cheminent dans la cohue des gens, des voitures hurlantes, des sirènes, bref dans l’ordinaire boucan d’une avenue à l’heure de pointe, le Sioux s’arrête soudain au coin d’une rue, tend l’oreille et dit :
- Tu entends le grillon ?
Son ami s’étonne.
- Un grillon ? Laisse tomber, mon vieux, tu rêves. Entendre un grillon, à New York, dans ce vacarme ?
- Attends, dit l’autre.
Il va droit à l’angle d’un mur. Dans une fente de béton poussent quelques touffes d’herbe. Il se penche, puis s’en revient. Au creux de sa main, un grillon.
- Alors ça, bafouille l’ami, abasourdi, c’est incroyable. Une ouïe si fine, c’est un truc de sorcier, ou quoi ?
- Pas du tout, répond le Sioux. Chacun entend ce qui l’habite et ce qui importe dans sa vie. Facile à démontrer.
Regarde.
Il sort quelques sous de sa poche et les jette sur le trottoir. Tintements brefs, légers, fugaces. Dans la bousculade autour d’eux, tandis que les voitures, au feu du carrefour, klaxonnent, démarrent, rugissent, dix, quinze têtes se retournent et cherchent de l’oeil, un instant, ces pièces de monnaie qui viennent de tomber.
- Voilà, c’est tout, dit le Sioux.

5 commentaires:

  1. C'est un conte très connu, mais je l'aime énormément, il est si riche de sens, il raconte si bien l'attention, le pouvoir que nous donnons à certaines choses et celles que nous ne remarquons jamais parce que nous ne soupçonnions même pas leur existence ...

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  2. Le pouvoir de sélection de notre attention. Je le vérifie très souvent. Nous vivons de ce fait les uns les autres dans des mondes parallèles, et souvent à côté de l'essentiel.

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  3. Encore un joli moment!
    Une chouette hulule dans la nuit, c'est magnifique! Bon d'accord, ce serait bien difficile de ne pas l'entendre! C'est tout de même mieux que le bruit des pieces de monnaie. Mais parfois, ne suis-je pas, moi aussi, sourde à l'essentiel...?

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  4. Superbe ce conte, plein de sens... Merci.

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  5. Bienvenue dans la prairie Christian !

    Oui, Bee nous sommes souvent sourds à l'essentiel. Nous passons à côté de merveilles par manque de présence, moi la première...

    Sourire, c'est un plaisir de partager avec vous tous ces découvertes.

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Chaque petit brin d'herbe déposé fait verdir la prairie de plaisir !