27 août 2008

Laisser la terre en paix



"Ma mère avait une façon bien particulière de parler du désert. Ainsi que ma grand-mère et mon arrière grand-mère. Ces femmes n'utilisaient pas de mots particuliers. C'était plutôt leur façon d'en parler comme d'un être vivant. Un être féminin, maternel. Pour tous les Pueblos, le pouvoir des femmes, fertile, chaotique, humide, source de vie, est indissociable de la fécondité de la Terre. Tous ceux de ma communauté évoque le désert, et la terre, comme une personne vivante.


Quand nous, les enfants, devenions trop turbulents, quand nous creusions des trous partout, arrachions les herbes, les anciens se mettaient en colère. Ils nous disaient "ça suffit, laissez la terre en paix". Cela signifiait que les choses étaient bien ainsi, qu'il n'y avait nul besoin de changer l'ordre du monde, de le bouleverser. Il ne nous serait jamais venu à l'idée de tuer une grenouille ou d'agacer un insecte, une mouche, une fourmi, un serpent. Pour nous, êtres humains, ces créatures sont des messagers, des esprits bienveillants. Ce respect, profondément ancré dans notre culture, s'étendait aux rochers, à la poussière, à l'eau. C'est ainsi que j'ai appris à voir le monde. Plus tard à l'école, j'ai été confrontée à une vision bien différente. Vision scindée, fragmentée, occidentalisée du monde.


Ne pas changer l'ordre des choses sans raison, ne pas gaspiller l'eau ou la nourriture, c'est ainsi que les anciens nous préparaient à vivre. Ils nous ont aussi enseigné à sentir que le désert nous aimait. Lorsque je marche seule, je n'éprouve jamais un sentiment de solitude. Je me considère comme une partie intégrante du désert. Comme avec ma propre mère. Comment pourrais-je me sentir seule alors que je marche en compagnie de ma mère originelle? J'ai d'innombrables compagnons, je ressens de l'affection pour les rochers, les pierres , le sable, la poussière. LA VIE PREND DES FORMES DIFFERENTES, MAIS NOUS PARTAGEONS TOUS LA MEME ENERGIE. Nous sommes issus de la même source mère, qui a engendré les planètes."

Leslie Silko

Extrait d'un article publié dans Terre Sauvage n°117 (mai 1997)

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup le dernier texte.... Comme je marche souvent seule, je me dis que je ne dois pas être "normale" de ne pas me sentir seule au sein de la nature, quelle qu'elle soit.... Pas "normale" de ne pas ressentir la peur au milieu d'une forêt... Je me souviens même d'un psy qui prétendait que j'avais un lien fusionnel avec la nature, ce qui représentait une fuite de la société... Décidément, ce mode de pensée occidental est bien différent du mode de pensée de certains peuples.... Mais au fait, j'ai déjà entendu parler de Leslie Silko, c'est une indienne, non ? Une amie m'avait parlé d'un livre qu'elle avait écrit dont j'ai oublié le titre... Peut-être est-ce celui-là ???

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  2. Oui, c'est ça, l'article s'appelait : "les écrivains indiens parlent de leur terre."

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Chaque petit brin d'herbe déposé fait verdir la prairie de plaisir !